Si tu venais à Fleury-Mérogis, Le détenu 143.222, à Fleury-Mérogis

Si tu venais à Fleury-Mérogis, tu ne serais pas directeur de centre pénitentiaire,
même pour libérer les trois-quarts d'entre nous et faire découvrir à l'autre quart
les chemins d'une vie heureuse et passionnante.
Tu ne serais pas surveillant, même pour introduire un souffle d'humanité
et nous rendre le goût de respirer en hommes.
Tu ne serais pas médecin ni même psychologue,
pour guérir nos humeurs et réduire nos complexes.
Tu ne serais pas infirmière, pour nous apporter un peu de tendresse.
Tu ne serais pas éducateur, pour débrouiller nos affaires,
accompagner nos démarches ou dissoudre nos urgences.
Tu ne serais pas assistante sociale,
pour prendre en compte nos situations familiales et faire renaître en nous l'époux, le père.
Tu ne serais pas visiteur, quelques heures par semaine,
pour mettre fin à la solitude des plus délaissés ou poser les jalons de notre retour à la liberté.
Tu ne serais pas aumônier, pour écouter longuement nos confidences,
nous rappeler ton message et faire surgir de vivantes célébrations.
Non, tu serais le détenu n° 129.333,
partageant avec tous la longueur des journées, attendant comme tous qu'on s'occupe de toi,
subissant parmi tous la déconsidération commune,
connaissant les rapports, les prétoires, le mitard, les fouilles.
Solidaire de ceux qui vivraient avec toi, tu dirais ce que tu as à dire,
tu ferais ce que tu as à faire, tu vivrais ce que tu as à vivre,
et tu ferais ta peine jusqu'au bout, aussi mal ressenti par tes copains que par tes gardiens.
Mais ...
ton innocence serait ensuite reconnue et ton nom découvert.
Vers toi, chacun de nous tournerait le regard, reconnaissant en toi l'image enfouie au fond de lui.