Si tu venais à Fleury-Mérogis, tu
ne serais pas directeur de centre pénitentiaire,
même pour libérer les
trois-quarts d'entre nous et faire découvrir à l'autre quart
les chemins d'une vie heureuse
et passionnante.
Tu ne serais pas surveillant, même
pour introduire un souffle d'humanité
et nous rendre le goût de
respirer en hommes.
Tu ne serais pas médecin ni même
psychologue,
pour guérir nos humeurs et
réduire nos complexes.
Tu ne serais pas infirmière, pour
nous apporter un peu de tendresse.
Tu ne serais pas éducateur, pour
débrouiller nos affaires,
accompagner nos démarches ou
dissoudre nos urgences.
Tu ne serais pas assistante
sociale,
pour prendre en compte nos
situations familiales et faire renaître en nous l'époux, le père.
Tu ne serais pas visiteur, quelques
heures par semaine,
pour mettre fin à la solitude
des plus délaissés ou poser les jalons de notre retour à la liberté.
Tu ne serais pas aumônier, pour
écouter longuement nos confidences,
nous rappeler ton message et
faire surgir de vivantes célébrations.
Non, tu serais le détenu n°
129.333,
partageant avec tous la longueur
des journées, attendant comme tous qu'on s'occupe de toi,
subissant parmi tous la
déconsidération commune,
connaissant les rapports, les
prétoires, le mitard, les fouilles.
Solidaire de ceux qui vivraient
avec toi, tu dirais ce que tu as à dire,
tu ferais ce que tu as à faire, tu
vivrais ce que tu as à vivre,
et tu ferais ta peine jusqu'au
bout, aussi mal ressenti par tes copains que par tes gardiens.
Mais ...
ton innocence serait ensuite
reconnue et ton nom découvert.
Vers toi, chacun de nous
tournerait le regard, reconnaissant en toi l'image enfouie au fond de lui.