J'étais si tranquille

Seigneur, pourquoi m'as-tu dit d'aimer
tous mes frères les hommes ?
J'ai essayé, mais vers toi je reviens, effrayée !
J'étais si tranquille chez moi.
Je m'étais organisée, je m'étais installée.
Mon intérieur était confortable et je m'y trouvais bien.
Seule, j'étais d'accord avec moi-même,
à l'abri du vent, de la pluie et des voyous,
et je serais restée dans ma tour enfermée !
Mais à ma forteresse, tu as découvert une faille,
tu m'as forcée à entrouvrir ma porte.

Comme une rafale de pluie en pleine face,
le cri des hommes m'a réveillée.
Comme un vent de bourrasque, une amitié m'a ébranlée.
Comme s'insinue un rayon de soleil, ta grâce m'a inquiétée.
Et j'ai Iaissé ma porte entrouverte, imprudente que j'étais !
Dehors, les hommes me guettaient.

lls sont entrés chez moi les premiers !
ll y avait tout de même un peu de place en mon cœur
jusque-là c'était raisonnable.
Mais les suivants, les autres hommes,
je ne les avais pas vus,
les premiers les cachaient,
ils étaient plus nombreux, ils étaient plus misérables,
ils m'ont envahie sans crier gare !
ll a fallu se resserrer,
il a fallu faire de la place pour eux chez moi.

... / ...


lls sont venus de partout

Maintenant ils sont venus de partout
par vagues successives...
l'un poussant l'autre, bousculant l'autre.
Ils sont venus de partout,
de la ville entière, de la nation, du monde...
innombrables, inépuisables.

Et ils ne sont plus seuls, mais chargés de bagages:
bagages d'injustices, bagages de rancœur et de haine,
bagages de souffrance et de péché.
Et ils traînent le monde derrière eux,
avec tout son matériel rouillé et tordu,
ou trop neuf et mal adapté.

Seigneur, ils me font mal,
ils sont encombrants, ils sont envahissants.
lls ont faim, ils me dévorent.

Je ne puis rien faire:
plus ils entrent, plus ils poussent la porte !
Et plus la porte s'ouvre.

Ah ! Seigneur, j'ai tout perdu, je ne suis plus à moi.
Il n'y a plus de place pour moi, chez moi !

Ne crains rien, dit Dieu, tu as tout gagné !
Car, tandis que les hommes entraient chez toi.
moi ton Père, moi ton Seigneur,
je me suis glissé parmi eux.

Suzanne de Dietrich