Les sans papiers, les Job d'aujourd"hui

Les « sans-papiers », immigrés irréguliers, immigrés clandestins, fuyant la violence ou la pauvreté de leurs pays d'origine ; poursuivis, persécutés, méprisés, condamnés aux pires travaux et aux pires conditions de travail, rejetés par leurs différences de peau, de nom, de langue, de culture, dans leur « pays d'accueil » : ils sont bien des Jobs de notre époque.
Des Jobs, car leur souffrance n'est pas la conséquence d'une faute, mais des manques : manque d'être nés dans un pays riche et au sein d'une famille privilégiée, manque de respect à leur condition d'hommes et femmes, manque de liberté pour s'exprimer, pour réclamer ou pour dénoncer l'injustice, manque du droit à vivre dignement.
Des Jobs, car comme lui, ils sont condamnés au nom d'une « sagesse » – celle que profèrent les amis de Job –, qui les accuse sans connaître leur culpabilité, qui les soupçonne sans preuves, qui les rend responsables de leur souffrance, qui leur demande, comme à Job, de se reconnaître coupables d'être différents, de s'appeler Mohammed ou Mafoutama, d'avoir sa peau colorée, ou d'avoir osé dénoncer l'injustice.
Des Jobs, car comme lui, ils crient, mais à leur manière. Leur cri n'a pas de paroles et ne fait pas de bruit, car leur souffrance c'est la clandestinité. Leur cri est leur regard, leur cri est leur silence, leur cri est leur occupation des Églises, leur cri est leurs grèves de la faim, leur cri est leur visage qui nous demande pourquoi ils n'ont pas le droit d'habiter sur cette terre.
Des Jobs, car leur « sagesse », celle qu'ils professent dans le silence de leurs clandestinités, celle qu'ils montrent dans leur envie de vivre malgré tout, celle dont on veut qu'ils se sentent honteux, est la même « sagesse » que proclame Job, malgré l'accusation de ses amis
C'est ça la « sagesse » qui avoue de ne pas comprendre, qui reconnaît son désarroi et son trouble, qui ne cache pas sa désillusion et son effondrement, mais qui, en plein milieu des ténèbres, reste debout, et du fond de sa souffrance, nous interroge.
Ils ne se justifient pas, ils demandent leur droit à vivre, comme Job.
Ils n'acceptent pas, comme lui, que le dénigrement qu'ils subissent, soit la conséquence de leur faute.
Leur « sagesse » est leur différence revendiquée et offerte à nous comme altérité. Leur « sagesse » est leur envie de vivre, leur défense de la vie. Leur « sagesse » est leur souffrance injustifiable et leur espérance irraisonnable.
Serons-nous aussi sourds que les amis de Job, au cri des « sans-papiers », et aussi méprisants, à l'égard de leur « sagesse » ?
« Sans Papiers » Par Elena Lasida, « Droits Devant »