Convertir notre prière

L’évangile (Lc 18, 1-8) laisse penser que Dieu répond à la prière. Force est de constater que ce n’est pas le cas. Voilà des années que nous prions pour la paix au Moyen Orient, par exemple. Que voyons-nous ? Chaque fois que l’on nous parle d’une prière exaucée, c’est toujours un cas particulier. Dieu guérirait telle personne, accorderait telle grâce. Dieu peut-il faire dans le détail quand des milliers d’enfants meurent ? Dieu ne sauverait-il que ceux qui l’appellent ? N’est-il pas bon pour tous ? Serait-il un fonctionnaire tatillon qui ne se saisirait que des demandes explicitement et correctement formulées ? Notre évangile dit le contraire. C’est au nom de Dieu qu’il faut penser que Dieu ne répond pas à la prière.
Vous voudrez bien excuser la brutalité du propos. Mais il se pourrait qu’à ne pas prendre en compte les difficultés de la prière, non seulement nous en détournions les autres, mais que nous-mêmes, nous ne cherchions pas à entrer vraiment dans l’aventure de la prière. Peut-être cela nous arrange-t-il d’en avoir une conception qui triche avec ce qu’elle est.
Qu’entendons-nous par réponse de Dieu, qu’attendons-nous comme réponse de Dieu ? Est-ce nous qui interpellons Dieu ? N’est-ce pas lui, le premier, qui nous a aimés (1 Jn 4, 19) ? Dieu peut-il être le répondant alors qu’il est la source ? Dans la demande même, notre prière est réponse. C’est nous qui répondons à son amour. La prière est moins dialogue avec Dieu que réponse à Dieu. Nos demandes sont un lieu pour découvrir que nous lui répondons.
Nous sommes loin de l’attitude païenne qui cherche à obtenir d’un dieu tout-puissant et craint quelques bienfaits ou protections octroyés plus ou moins arbitrairement. L’évangile est conversion, il nous retourne, il retourne notre conception de la prière. Nous sommes invités à convertir selon l’évangile notre pratique et notre conception de la prière.
Ce changement de regard sur la prière, c’est un changement de la foi, ou plutôt un passage à la foi. Et la question se pose : « le fils de l’homme, quand il viendra, trouvera-t-il la foi sur la terre ? »
Si l’eucharistie est le modèle de la prière, nous devrons remarquer que, comme action de grâce, elle est réponse au Dieu auquel nous disons merci. La prière, cela s’apprend, cela s’éduque, chose que nous n’aimons guère entendre et encore moins pratiquer. La prière ce n’est pas que la spontanéité.
La prière n’est d’ailleurs pas notre prière. C’est celle du Christ. C’est lui le grand orant, le seul orant. Nous nous tournons vers le Père par le Christ dans l’Esprit. C’est Jésus le chemin. Comme le dit un de nos cantiques, le Père « écoute son fils dans le cri de nos hymnes ». Nous prêtons nos gorges, notre âme vivante, à l’Esprit qui de nos corps fait l’instrument qui chante la prière du Christ.
Nous sommes dans une société et une Eglise où l’inflation de la subjectivité fait de chacun une source autonome de pensée, volonté et action. Or prier, être chrétiens ‑ toujours au pluriel ‑, c’est être membres du corps du Christ. La prière nous fait entrer dans une communion, elle est communion à l’ensemble de l’humanité, corps du Christ.
S’agit-il de parler quand nous prions ? Pourquoi pas, de toute façon, « nous ne savons pas prier » (Rm 8, 26). Il n’y a pas de mauvaises prières, parce que toutes sont à côté de la plaque, de ce point de vue. N’allons pas nous mettre martel en tête. Nous sommes invités à nous exposer à Dieu, comme on s’expose au soleil. « Laisse-toi regarder par le Christ », dit encore un chant. Demeurer en sa présence.
Demeurer, c’est le verbe que l’évangile de Jean emploie pour dire la relation des disciples à Jésus. Dès le premier chapitre, l’Esprit demeure sur Jésus au baptême, les disciples demeurent avec Jésus après leur première rencontre. « Demeurez en moi » (Jn 15, 7 et 9) dit Jésus. Les paroles de la prière sont un moyen de demeurer avec le Christ, non dans un souci de développement personnel ou de bénéfice spirituel, mais en nous exposant avec tous nos soucis et nos peines, nos joies et nos espoirs, toute la vie du monde.
La prière est ainsi le lieu de la gratuité. Elle ne trouve pas son sens dans le « à quoi ça sert », mais dans le fait de s’exposer à l’amour gratuit et premier du Père.
Patrick Royannais, prêtre du diocèse de Lyon, docteur en théologie