Vous voudrez bien excuser la brutalité
du propos. Mais il se pourrait qu’à ne pas prendre en compte les difficultés de
la prière, non seulement nous en détournions les autres, mais que nous-mêmes,
nous ne cherchions pas à entrer vraiment dans l’aventure de la prière.
Peut-être cela nous arrange-t-il d’en avoir une conception qui triche avec ce
qu’elle est.
Qu’entendons-nous par réponse de Dieu,
qu’attendons-nous comme réponse de Dieu ? Est-ce nous qui interpellons
Dieu ? N’est-ce pas lui, le premier, qui nous a aimés (1
Jn 4, 19) ? Dieu peut-il être le répondant alors qu’il est la
source ? Dans la demande même, notre prière est réponse. C’est nous qui
répondons à son amour. La prière est moins dialogue avec Dieu que réponse à Dieu.
Nos demandes sont un lieu pour découvrir que nous lui répondons.
Nous sommes loin de l’attitude païenne
qui cherche à obtenir d’un dieu tout-puissant et craint quelques bienfaits ou
protections octroyés plus ou moins arbitrairement. L’évangile est conversion,
il nous retourne, il retourne notre conception de la prière. Nous sommes
invités à convertir selon l’évangile notre pratique et notre conception de la
prière.
Ce changement de regard sur la prière,
c’est un changement de la foi, ou plutôt un passage à la foi. Et la question se
pose : « le fils de l’homme, quand il viendra, trouvera-t-il la foi
sur la terre ? »
Si l’eucharistie est le modèle de la
prière, nous devrons remarquer que, comme action de grâce, elle est réponse au
Dieu auquel nous disons merci. La prière, cela s’apprend, cela s’éduque, chose
que nous n’aimons guère entendre et encore moins pratiquer. La prière ce n’est
pas que la spontanéité.
La prière n’est d’ailleurs pas notre
prière. C’est celle du Christ. C’est lui le grand orant, le seul orant. Nous
nous tournons vers le Père par le Christ dans l’Esprit. C’est Jésus le chemin.
Comme le dit un de nos cantiques, le Père « écoute son fils dans le cri de
nos hymnes ». Nous prêtons nos gorges, notre âme vivante, à l’Esprit qui
de nos corps fait l’instrument qui chante la prière du Christ.
Nous sommes dans une société et une
Eglise où l’inflation de la subjectivité fait de chacun une source autonome de
pensée, volonté et action. Or prier, être chrétiens ‑ toujours au
pluriel ‑, c’est être membres du corps du Christ. La prière nous fait
entrer dans une communion, elle est communion à l’ensemble de l’humanité, corps
du Christ.
S’agit-il de parler quand nous
prions ? Pourquoi pas, de toute façon, « nous ne savons pas
prier » (Rm 8, 26). Il n’y a pas de mauvaises prières, parce que toutes
sont à côté de la plaque, de ce point de vue. N’allons pas nous mettre martel
en tête. Nous sommes invités à nous exposer à Dieu, comme on s’expose au
soleil. « Laisse-toi regarder par le Christ », dit encore un chant.
Demeurer en sa présence.
Demeurer, c’est le verbe que l’évangile
de Jean emploie pour dire la relation des disciples à Jésus. Dès le premier
chapitre, l’Esprit demeure sur Jésus au baptême, les disciples demeurent avec
Jésus après leur première rencontre. « Demeurez en moi » (Jn 15, 7 et
9) dit Jésus. Les paroles de la prière sont un moyen de demeurer avec le
Christ, non dans un souci de développement personnel ou de bénéfice spirituel,
mais en nous exposant avec tous nos soucis et nos peines, nos joies et nos
espoirs, toute la vie du monde.
La prière est ainsi le lieu de la
gratuité. Elle ne trouve pas son sens dans le « à quoi ça sert »,
mais dans le fait de s’exposer à l’amour gratuit et premier du Père.
Patrick
Royannais, prêtre du diocèse de Lyon, docteur en théologie